CHAPITRE XIII

André GIDE  :Ronde De Tous Mes Desirs


Je ne sais ce que j’avais pu rêver cette nuit.

À mon réveil tous mes désirs avaient soif.

Il semblait qu’en dormant, ils eussent traversé des déserts.

Entre le désir et l’ennui

Notre inquiétude balance.

Désirs ! Est-ce que vous ne vous lasserez pas ?

Oh ! oh ! oh ! oh ! cette petite volupté qui passe ! – et qui sera bientôt passée !

Hélas ! Hélas ! je sais comment prolonger ma souffrance ; mais mon plaisir je ne sais comment l’apprivoiser.

Entre le désir et l’ennui, notre inquiétude balance.

Et l’humanité tout entière m’a paru comme un malade qui se retourne dans son lit pour dormir – qui cherche le repos et ne trouve même pas le sommeil.

Nos désirs ont déjà traversé bien des mondes ;

Ils ne se sont jamais rassasiés.

Et la nature entière se tourmente,

Entre soif de repos et soif de volupté.

Nous avons crié de détresse

Dans les appartements déserts.

Nous sommes montés sur des tours

D’où l’on ne voyait que la nuit.

Chiennes, nous avons hurlé de douleur

Le long des berges desséchées ;

Lionnes, nous avons rugi dans l’Aurès ; et nous avons brouté, chamelles, le varech gris des chotts, sucé le suc des tiges creuses ; car l’eau n’abonde pas au désert

Nous avons traversé, hirondelles,

De vastes mers sans nourriture ;

Sauterelles, pour nous nourrir nous avons dû tout dévaster.

Algues, nous ont ballottées les orages ;

Flocons, nous avons été roulés par les vents.

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